Depuis la révolution du 25 janvier, les murs du Caire sont le nouveau terrain d’expression des artistes de la capitale égyptienne.
Dans les rues du Caire chacun peut désormais croiser ces regards. Au détour d’un mur, sous la forme d’un dessin ou d’un pochoir, ils sont les visages des martyrs, ces Égyptiens tués pendant la révolution. Devenus l’un des thèmes de prédilection des street artistes, ces œuvres sont un moyen de rappeler quotidiennement le prix de la liberté. Mohamed F. dit MoFa est un de ces artistes sortis de l’ombre grâce à la révolution. Il vient de terminer son troisième portrait de martyr. Un visage de trois mètres de long sur plus de deux mètres de large réalisé par une équipe de six bénévoles, au terme d’un travail de plusieurs jours.
Cet hommage aux quatre couleurs de l’Égypte ne passe pas inaperçu : « A chaque projet, un passant s’arrête et me suggère l’identité d’un prochain portrait » explique MoFa dont l’ambition serait de représenter le plus de martyrs possible. Dans les jours qui ont précédé la chute de Moubarak le 11 février dernier, le peuple égyptien a découvert le street art. « Enjoy the revolution » (Profitez de la révolution) – l’injonction a été taguée en anglais et en arabe sur un mur de la place Tahrir où tout a commencé. « L’art mural est devenu un moyen pour les Égyptiens de se ré-approprier l’espace public après des années de dictature » analyse une jeune designer a l’origine d’un groupe Facebook qui documente l’essor de cet art de rue. Un engouement qui atteint même le très académique Institut des Beaux Arts de Zamalek. Autrefois, le concours d’entrée invitait à mettre en lumière la propagande de Moubarak.
Cette année, sous l’effet de la révolution, une des promotions s’est jetée à l’eau en proposant de peindre de fresques murales de la révolution autour de l’école. Les gigantesques dessins représentent le peuple, téléphone portable en main, se libérant de l’oppresseur grâce aux SMS et réseaux sociaux. Une réalisation inimaginable il y a quelques mois. Peu d’Égyptiens se risquaient alors à inscrire sur les murs leurs aspirations au changement, par peur des représailles de la redoutée police politique. « Nous vivons une période de transition sans savoir vraiment ce qui nous attend: c’est le moment idéal pour faire du street art » affirme Adham B. graphiste autodidacte. Arrêté à deux reprises et humilié pour avoir pris quelques photos, Adham attache particulièrement de valeur à sa nouvelle liberté. Pendant la révolution, il a réalisé des pochoirs de personnalités politiques sous les barreaux pour inciter les manifestants à revendiquer une justice par les tribunaux. Début avril, la photo d’un de ces pochoirs brandit par la foule s’est retrouvée en une du journal Al-Masry Al-Youm pour annoncer l’arrestation d’un des proches de Moubarak. « J’aime imaginer que c’est un peu grâce à moi » s’amuse l’activiste. Ironique, et décomplexée, l’avant-garde du street art au Caire se revendique aussi de l’héritage du célèbre artiste anglais Banksy. En attendant les élections du mois de septembre qui décideront du nouveau visage politique de l’Egypte, à l’attention des 40% d’Égyptiens illettrés, l’art mural devient un moyen évident de faire passer des idées dans l’effervescence de l’après-révolution.
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Rédaction & Photo : Manon Aubel
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