J’étais super content à l’idée de rouler sur les plaines humides de ce pays légendaire, visiter cette belle ville d’Amsterdam.
Après m’être tapé la flotte depuis le Nord de la France, j’étais encore bien motivé à rejoindre la Venise du nord. J’avais en tête les images d’Épinal bien sûr, les navigateurs, les chansons de Brel et mon goût pour les peintures de genre du XVIIe. Les trésors du RijkMuseum n’attendaient que moi, Rembrandt, Vermeer, les plus beaux tableaux de Frans Hals ou de Pieter Claesz de Eda , etc.
J’ai roulé longtemps sur le territoire hollandais, longtemps pour ne pas parcourir beaucoup de kilomètres finalement. Le pays est parsemé de feux de signalisation tous les 700 mètres et on y reste facilement 5 min à chacun. Cela vous donne une idée du temps passé à savourer la pluie tombant d’un ciel plus que bas, gris et finalement vraiment désagréable.
J’ai pris du plaisir à traverser les polders, terres gagnées sur la mer à renfort d’ingénierie et de volonté humaine. Les routes qui les parcourent sont donc de longues langues surélevées offrant un spectacle étonnant. Quelques péniches, des moulins, des écluses, des vaches, des chevaux, trois moutons et du vert, voilà ce qui a été ma nourriture visuelle durant ces heures de douche motorisée.
L’ingénierie hydraulique et le comblement sont parmi les points forts du peuple batave. C’est cette expertise qui leur permet aujourd’hui d’intervenir sur la construction des îles Palmiers de Dubaï par exemple.
La route est ici très fatigante par temps de pluie. Beaucoup de camions et d’autos sur des nationales peu larges. Évidemment, comme vous le savez, la Hollande, c’est tout plat, donc si le vent est de la partie et qu’il vient de côté, il est préférable de s’en servir d’appui pour ne pas aller finir par faire des bisous aux bovidés et autres équidés.
Le seul souci est qu’à la croisée d’un camion venant dans le sens opposé, l’appui du vent se retire d’un coup créant une sorte d’aspiration précédent tout de suite après, le déplacement d’air et d’eau de la trainée du camion… et là, c’est la douche, ou plutôt le Kärsher ! Bref, je suis toujours sur mes deux roues et je n’ai plus de moustiques sur mon pare-brise !
Amsterdam, j’y arrive après une halte à Rotterdam pour manger un peu et tenter de sécher ce qu’il est possible.
La pluie tombe dru. Mes premières sensations ne sont pas très bonnes, les autos collent au train, les gens conduisent dangereusement malgré tous les radars et les caméras. Au centre de la ville, il faut être très vigilant, entre les camions de livraison, les tramways et leurs rails très piègeuses. Il faut également toujours tenter d’avoir un œil libre pour les vélos, si nombreux qu’ils s’entassent à l’arrêt le long des poteaux et structures réservées comme des grains de raisin autour d’une grappe. Quand ils roulent, ils roulent sans lumière dans un environnement visuel gris et sombre. De plus, ils sont prioritaires partout… sauf quand les piétons s’y mettent et transhument d’un côté à l’autre des pâtures commerçantes.
La ville est belle. Les canaux sont nombreux, formant des arcs de cercle autour du centre, en fait de la station centrale de train.
Une chose est saisissante, je suis transparent ici. Si si, totalement transparent, sans odeur, sans saveur, sans couleur, rien, le vide. S’ils ne vous connaissent pas, les gens ne vous considèrent pas. Pas même un regard, un bonjour, un quelque chose, rien. Moi qui disais hier que vivre comme un chien errant, c’est être transparent, du coup, quand on l’est c’est extrêmement déstabilisant.
J’ai vraiment le sentiment d’être un fantôme.
Je me demande si ce n’est pas le même syndrome qu’en France, à Paris. Un étranger qu’on ne connait pas n’est pas tout à fait un être humain. À quoi bon lui parler, surtout s’il ne parle même pas notre langue. Je suis ironique évidemment, mais pas très loin de la vérité si j’en crois les témoignages saisissants de certains amis argentins par exemple ne parlant pas le français.
Le pire ici est que les commerçants sont parfois malaimables, ils ne vous saluent même pas. En fait, il y a tellement de touristes que l’on devient des numéros sur un ticket de caisse, rien de plus. Et pour avoir un sourire, il vaut mieux trouver un miroir et se le faire à soi-même, c’est plus sûr.
La pluie, la fin de la saison, la défaite de l’équipe nationale au mondial… on peut trouver beaucoup d’excuses… que beaucoup d’autres populations toujours très sympas aimeraient avoir…
Pour comparaison, en Amérique du Sud, en Asie, même en Angleterre, en Belgique, enfin à peu près partout où j’ai trainé mes guêtres, les populations étaient enclines à discuter. Ici nichtvandufruuuur, ça doit vouloir dire «rien, nada, queue dalle» dans une langue gutturale proche du néerlandais.
Bon bon bon, alors je me suis réfugié dans le Rijkmuseum où j’ai effectivement pu dialoguer avec de très belles œuvres.
La simple rencontre de deux ou trois peintures vaut le voyage entier. Comment un homme peut-il peindre une figure qui semble vivante, mouvante, touchant ainsi l’œil du spectateur de son pinceau des siècles après la commande faite par les bourgeois des ports principaux du pays ? Les textures sont d’une réalité beaucoup plus impressionnante que le dernier Toy Story en 3d (et pourtant, il est bien à ce niveau là).
Un peu d’histoire de la Hollande nous apprend les dates d’indépendance du joug espagnol, les percées commerçantes, les génies divers et une grande adadaptation, mais aussi une capacité à se protéger, comme sur une île… Tiens donc, nos amis les Bataves ne seraient-ils pas finalement des insulaires ? Alors peut-être peut-on comprendre un peu mieux leurs attitudes. Pour ma part, je vais bientôt retourner sur le continent, direction l’Allemagne. Sans doute le peuple hollandais gagne-t-il à être connu, compris, il faut du temps pour cela. Une autre fois peut-être…
….
Une traversée de l’Europe d’aujourd’hui à moto, en solitaire par Stéphane Lemaire
….