Différentes époques transparaissent aujourd’hui sur l’île, centre historique berlinois en pleine redéfinition.
Dix-sept ponts relient l’île au reste de la capitale. « Nous n’avons d’île que le nom », témoigne un insulaire rencontré au coin d’une rue. Et d’ajouter : « L’île de la Spree est le berceau de Berlin, comme l’île de la Cité à Paris. » Evoquée dès le XIIIème siècle sur les bords de la Spree, le fleuve qui traverse la ville, la Spreeinsel fut le lieu de résidence des rois de Prusse puis des empereurs allemands. Malgré un bâti détruit à 70% lors de la Seconde Guerre mondiale, l’île servit ensuite de centre névralgique aux instances politiques de l’Allemagne de l’Est (RDA). Baroque d’un côté et socialiste de l’autre, l’île de la Spree est en perpétuelle métamorphose depuis la réunification de l’Allemagne en 1990. Quelles traditions doit refléter ce centre-ville historique si atypique ? Quelle définition donne-t-il de la nouvelle capitale allemande ?
L’île de la Spree est de nouveau au milieu de la carte, après avoir appartenu à Berlin Est pendant la séparation des deux Allemagne. Selon le critique et architecte Bruno Flierl : « Les difficultés du travail de mémoire sur la réunification Est-Ouest de l’Allemagne y sont faciles à décrypter. » Le Berlinois évoque le château baroque des Hohenzollern que le gouvernement de RDA fit disparaître en 1950 pour inaugurer en 1976 un Palais de la République au profil socialiste, lequel disparaîtra à son tour en 2006 afin de laisser place à la construction d’un futur centre culturel qui reprendra la silhouette du château prussien initial. « Ces jeux de reconstruction s’inscrivent dans la populaire architecture du souvenir », explique le chercheur Michael Falser qui s’intéresse à la politique d’entretien des monuments à Berlin. « La partie centrale de l’île, la place du château, reflète la tendance à effacer de la carte les éléments construits sous la RDA. » La place qui regroupait le Parlement, le ministère des Affaires étrangères et le Conseil d’État de RDA est aujourd’hui un vaste chantier dont les accents socialistes ont quasiment disparu. Les rues larges qui assuraient dans les années 60 l’intégration de l’île au plan de circulation de la ville sont aujourd’hui réduites de moitié. Seuls vestiges de l’époque socialiste, les barres d’immeubles qui s’érigent au sud de l’île.
« Coincées entre les immeubles de RDA, vous trouvez des maisons du XVIIème siècle, les plus anciennes de tout Berlin », explique un habitant. Fier de son quartier, il pointe du doigt une façade baroque : « Au XIXème, c’était un grand magasin de référence et en RDA, c’était le seul commerce de Berlin Est où vous pouviez acheter des jeans ! » Aujourd’hui, les vitrines sont vides. La nostalgie se renforce plus au sud de l’île, aux abords du « village des pêcheurs ». Des péniches se balancent doucement dans le port historique de Berlin, sur fond d’immeubles type RDA. Le temps se fige le temps d’une photo : une embarcation à touristes débite en cinq langues. Elle abordera au nord de l’île, où le monde entier vient admirer le complexe des musées construits à partir du XIXème siècle pour offrir un accès public à l’art et la culture, alors objets de collections privées. « L’île aux musées » fut classée patrimoine mondial en 1999. Cette « île sur une île » en pleine restauration dérive savamment entre renouveau et continuité.
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